L'Euro réservera-t-il sa surprise ?
Il existe une règle rarement démentie qui veut que chaque grand
rendez-vous international apporte son lot de surprises. Il s’agit alors
au choix de l’élimination prématurée d’un favori ou de la performance
d’une équipe que l’on n’attendait pas au second tour, en partie à cause
de son rang dans la hiérarchie internationale.
Ainsi, lors du dernier championnat d’Europe, il y eut l’accident grec
– qui, entre nous, était plutôt une « anomalie ». Accident d’autant
plus important que la Grèce est allée au bout de l’épreuve, remportant
le trophée au nez et à la barbe des Portugais. L’exploit ressemble à
quelques détails près à celui réalisé par l’équipe danoise
autrement plus séduisante, qui avait été convoquée in extremis pour le
Championnat de 1992 pour remplacer la Yougoslavie. En coupe du monde,
la Corée du Sud et la Turquie ont créé la sensation en 2002, tout comme la Bulgarie – aïe ! – l’avait fait aux Etats-Unis huit ans plus tôt.
Côté déconfiture, la plus célèbre des désillusions est venue du Mondial de 2002, où les Bleus furent sortis de la compétition dès le premier tour après avoir régné sans rival sur la planète football pendant quatre ans. L’Allemagne
aussi a connu cette expérience, mais dans un autre registre :
championne d’Europe en 1996, la Mannschaft se présente en 2000 avec un
effectif remodelé et, terminant 4ème de son groupe, rentre à Berlin au
soir du premier tour.
L’heure serait donc à la méfiance si 2008 ne semblait pas si différent.
Le
Championnat qui va se tenir en juin en Suisse et en Autriche est sans
aucun doute le plus relevé depuis que l’épreuve comporte des quarts de
finale, c’est-à-dire depuis 1996. La lutte pour le graal parait bien
inégale. A l’exception de l’Angleterre, tous les Grands seront là-bas,
et leur ambition à chacun est immense, légitimement immense. Le
Portugal fait peur, même si, parce que trop immatures, les partenaires
de Ronaldo et Carvalho
ne devraient pas aller au bout d’un championnat avant deux ans.
L’Italie s’apprête à marcher dans les pas d’une France qui reste, quant
à elle, malgré un jeu peu enthousiasmant, l’une des favoris logiques.
Il faudra aussi compter sur les Allemands et, peut-être davantage, sur
les Espagnols qui doivent être fatigués de décevoir et ont l’équipe
pour vaincre. De plus, les stars de chaque équipe sont bien présentes,
épargnées par les blessures.
Tous aujourd’hui sont donc des
prétendants sérieux et crédibles, et tous veulent être sur la première
marche. En face, les plus petits – y en a-t-il vraiment dans un
Championnat d’Europe ? – semblent objectivement moins bien armés. Ils
devraient évidemment être capables de résister, mais pas sur la
longueur d’un championnat. Résister ne suffira pas à remporter la mise.
En 2008, l’appétit des gros semble ne laisser que peu de chance et
d’espace pour les surprises.
Tout ceci est bien théorique ? Pas
sûr. Si la Grèce est là pour défendre son titre, sa campagne de
qualification fut laborieuse. La Roumanie est l’une des inconnues du
Championnat, comme la Suède ou la Russie - ça pourrait être l'année de la Russie, après la victoire du Zenith en coupe de l'UEFA... Son parcours lors des
éliminatoires devrait éveiller l’attention, quoi que sortir 1er de son
groupe devant les Pays-Bas n’impressionne pas : les Oranges sont très
certainement surcotés et, en tout cas, ils sont loin d’égaler le niveau
de leurs glorieux aînés. De surcroît, Roumains et Néerlandais se
côtoient dans le groupe dit « de la mort », où les attendent des Bleus
– ciel et foncé – rompus à l’art d’étouffer leurs adversaires et qui
passeront vraisemblablement, eux, le 1er tour. Quant à la Croatie et à
la Pologne, serait-il exagéré de penser la première ébranlée par la
blessure de son buteur Eduardo, et la seconde, inexpérimentée ?
Enfin,
il ne faudra pas s’attendre à une grande performance de la part de la
République tchèque. 1ère de son groupe des éliminatoires devant la Mannschaft,
elle ne compte cependant plus dans ses rangs les Nedved, Poborsky,
Smicer et Berger qui l’ont portée jusqu’en finale de l’Euro 1996 et se
situe plutôt aujourd’hui, comme la Turquie, entre deux eaux.
Non, vraiment, il ne paraît pas y avoir de place pour la surprise dans ce championnat. Mais… Et la Suisse ?
On
aurait tort de sourire à cette demi-question. Il ne faudrait pas
oublier que les Rouges jouent à domicile, point qui ne doit jamais être
négligé. Pour preuve, le parcours improbable de la Corée du Sud en
2002. Mais, à l’évidence, pareille considération ne suffit pas car on
pourrait en ce cas miser aussi sur l’Autriche. Bizarrement, cela sonne
moins bien à l’oreille ; il doit donc y avoir d’autres raisons.
L’idée
de réserver le cas suisse n’est pas saugrenue. Elle vient directement
du souvenir des rencontres disputées par deux fois contre la France
entre 2004 et 2005. La qualification pour le Mondial allemand s’est
joué au coude à coude contre cette équipe – notamment… – et les
prestations de nos adversaires avaient été solides, aussi bien pendant
les éliminatoires que pendant la Coupe du monde elle-même. Or, l’équipe
s’est assez peu renouvelée. Certes, Vogel n’est plus là : l’incroyable
bosseur du milieu de terrain a été écarté par le sélectionneur Köbi
Kuhn. Pour le reste, l’effectif a peu bougé. Degen, Zuberbühler,
Magnin, Senderos, Cabanas, Yakin, Streller, Barnetta, Frei et
Vonlanthen sont toujours présents. A ces piliers s’ajoute évidemment le
renfort de jeunes joueurs, avec notamment la convocation – à inscrire
directement dans la lignée de la jurisprudence Walcott – d’un Derdiyok parfaitement inconnu chez les pros.
L’alliance
de joueurs expérimentés et moins expérimentés est souvent une clé pour
la réussite. Mais l’addition de ces derniers ne donnera rien si le
potentiel de chacun est proche du néant. Or, de ce point de vue aussi
la Suisse dispose d’un effectif complet et solide ; de quoi attirer
l’attention.
Ses arrières latéraux sont très bons. Degen, dans son
couloir droit, est vraiment exceptionnel, et Liverpool ne s’y est pas
trompé en le faisant signer il y a quelques jours. Il pourrait, le cas
échéant, être efficacement suppléé par Stéphane Lichsteiner, qui aurait
dû être sacré en mai meilleur arrière droit de la Ligue 1. Son
homologue à gauche, Ludovic Magnin a l’expérience pour lui et demeure
capable d’apporter beaucoup offensivement sans ignorer ses tâches
défensives. Streller, devant, pèse énormément et physiquement sur les
défenses et sait poser des problèmes. Yakin, Cabanas et Barnetta sont
de fins techniciens, rapides et pouvant créer à tout moment le danger,
par un décalage, une accélération, une passe. Alexander Frei n’a
disputé que 13 rencontres avec Dortmund ? Il a été longtemps blessé, et
son retour, à la fin du championnat allemand, a été gagnant. Son
absence, en outre, lui permet d’être plus frais que les autres. Reste
le cas de nombreux autres comme Patrick Müller, opéré à Lyon et
tellement désireux de retrouver le terrain et de s’impliquer dans son
Euro qu’il abandonne le club champion de France le jour du match de la
finale du Stade de France. L’excellent Vonlanthen a beau avoir été
oublié par de nombreux grands clubs européens, il reste un joueur
intelligent, efficace et doué techniquement. Et puis… Il y a la
surprise Inler. D’origine turque, Gökhan Inler
n’assume rien moins que la responsabilité d’un Johan Vogel qu’il est
parvenu à faire – un peu – oublié. Ce joueur de 23 ans risque d’être
l’une des révélations de ce championnat que la Suisse joue chez elle.
Il l’a d’ailleurs été déjà en Italie, où il n’a raté qu’un seul match
avec l’Udinese lors de sa première saison en Série A. Ce faisant, il a
été plus fréquemment utilisé que Di Natale ou que Quagliarella – espoir
du football transalpin recruté en mai par la Juventus. A suivre, donc…
Les
résultats de la Suisse doivent également permettre de savoir si
l’équipe a de quoi inquiéter véritablement les Grands. Force est de
constater, à cet égard, que les dernières rencontres ne sont pas très
rassurantes : depuis 2007, 13 matchs pour 5 victoires seulement, contre
des adversaires qu’on dira à sa portée (Jamaïque, Pays-Bas, Chili,
Autriche, Slovaquie). Le reste est fait de défaites, à l’exception d’un
nul décroché à domicile contre l’Argentine de Messi.
Seulement, il
faut bien y regarder à deux fois avant de se prononcer. En mars de
cette année, par exemple, la leçon reçue contre l’Allemagne (4-0) a été
donnée dans un contexte particulier. La défense qui avait été
titularisée était expérimentale. Frei, titularisé, n’était pas en
jambes et avait été associé au fameux Derdiyok en attaque. La déroute
peut, dans ces conditions, n’être qu’un accident. En revanche, le nul
obtenu contre l’Argentine, il y a un an tout juste, semble plus
révélateur du potentiel réel de cette équipe suisse. Avec en point de
fixation derrière Patrick Müller, et la titularisation des arrières
latéraux de classe européenne, la défense semble plus équilibrée et
l’équipe, plus compétitive.
... L’avenir nous dira si ce que
nous voyons se profiler se réalisera, c'est-à-dire l’accession de la
Suisse aux demi-finales de son Euro, défaite de justesse par le
Portugal de Ronaldo.